Le coup de fil de Maurice G. Dantec

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Hier soir, j’ai appris la mort de l’écrivain français Maurice G. Dantec, avec stupéfaction, tant il était déjà pour moi immortel.

Pour l’anecdote, un jour je tombe sur l’une de ses nouvelles : « Dieu porte-t-il des lunettes noires? ». J’étais alors un tout jeune scénariste, et je cherchais une histoire à adapter pour un court-métrage. Et sa nouvelle avait un potentiel visuel et philosophique important!
J’écris alors très vite, en m’inspirant de cette histoire puissante, un scénario, puis une deuxième version que je baptise « Au berceau du mal », titre voisin de son roman « Aux racines du mal ».
Pour des raisons de droit et par courtoisie, j’envoie, via son éditeur, une lettre à Dantec lui indiquant que je souhaite faire un court à partir de sa nouvelle, et je lui joins le scénario. Je sais alors pourtant que l’écrivain est difficile à contacter, surtout depuis son transfert vers le Nouveau-Monde, à Montréal.

Quelques mois plus tard, au volant de ma voiture, je reçois un coup de fil. Je décroche, et j’entends une voix grave et tranquille qui me dit:
– Bonjour c’est Maurice Dantec.
Gros silence!
Je parviens tant bien que mal à garer la voiture sur le bas-côté. Je l’entends:
– Ce n’était pas ce que je voulais dire…
– Merci de m’appeler, fais-je en le coupant, sous le coup de l’émotion.
– Non, non, poursuit-il, modeste et gêné. J’avais en fait voulu montré que…
Et il part dans des considérations historiques et philosophiques très complexes, comme dans son essai « Théâtre des opérations, laboratoire de catastrophe générale », qui je l’avoue m’échappent au début sous le coup de la surprise. J’entends pourtant sa voix dérouler son propos.
Et je ne dis rien, si ce n’est que je le remercie encore une fois de m’avoir appelé. Je le gêne c’est certain mais, déterminé, il continue, développe comme s’il parlait à l’un de ses confrères, à quelqu’un d’assez fin pour comprendre sa pensée et – chose extraordinaire – comme s’il cherchait à se justifier, à défendre son point de vue.
Bien sûr, le scénario que j’ai écrit diffère beaucoup de la nouvelle, il reflète mes questionnements philosophiques, mon rapport à l’histoire, bref ma conception du monde, mais il s’abreuve tout de même dans cette source que constitue la prose de Dantec.
Je l’écoute en silence, religieusement. Je comprends alors ce qu’il avait voulu écrire, et qu’il a réussi à écrire (j’en ai eu par la suite confirmation en le relisant). Simplement ma lecture aura été différente.
C’est alors que Dantec conclut par un magistral : « Mais je ne vous empêcherai pas de faire votre film ». Puis il raccroche tranquillement, avant que je ne puisse le remercier encore une fois.

À partir de ce jour-là, j’ai plus ou moins compris, sans le formuler en ces termes, que j’étais moi-aussi un auteur et que j’avais des choses à apporter au monde.
Merci Maurice!

Et vous, qu’avez-vous à donner au monde?

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